Les racines théoriques de la valeur

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  • Publication publiée :28 juin 2019
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« La valeur est le corrélat – objectif ou subjectif – du désir » – Comte-Sponville

Les principaux apports des sciences humaines et sociales (SHS) dans l'étude de la valeur

La notion de valeur trouve ses fondements en philosophie et en économie.

Source : adapté de Rivière, Mencarelli (2012)

1. La valeur en philosophie

Les réflexions philosophiques, qui se sont principalement axées sur la compréhension du processus de formation de la valeur, se structurent autour de deux thèmes:

  • les fondements de la valeur ; 
  • les jugements de valeur.

Les fondements de la valeur

Le premier renvoie à la question des fondements de la valeur compris, dans son acceptation morale, comme un ensemble de normes auxquelles toute conduite humaine va se référer (Durozoi et Roussel, 1997). 

L'objectivité de la valeur

Pour les penseurs du point de vue « absolutiste », la valeur est dans l’objet (objectivité de la valeur). Ils admettent la réalité transcendante des valeurs qui s’imposent aux individus et considèrent ainsi que la morale est liée aux faits objectifs sur le monde. (Parménide, Platon, Malebranche, Kant, Scheler, Hartmann, Le Senne, Lavelle).

La subjectivité de la valeur

Pour les auteurs du point de vue « relativiste », la valeur est dans l’individu qui valorise (subjectivité de la valeur). Ils suggèrent que les individus sont libres de choisir les fondements de leur moraleLes valeurs sont considérées comme relatives et changeantes. (Socrate, Aristote[1], Protagoras, Spinoza, Hume, Nietzsche).


[1] « Philosophiquement, Aristote (Comte-Sponville, 1998) affirme que créer de la valeur, c’est répondre à ou encore satisfaire un désir. […] ce que nous apprend Aristote sur la valeur : qu’elle est une fin que l’on vise, et qui vaut d’autant plus qu’elle est davantage finale ou parfaite » (Comte-Sponville, 1998, p.17). « La valeur est le corrélat – objectif ou subjectif – du désir. » (Comte-Sponville, 1998, p.15).

Les jugements de valeur

Le second thème concerne l’analyse des jugements de valeur qui, par opposition aux jugements de vérité ou de réalité, sont appréciatifs :

  • en reconnaissant à un objet une importance particulière,
  • par référence à un modèle, une norme qu’il pose comme devant être imité, à une finalité comme devant être réalisée.

Une définition de la valeur

La valeur est donc un optatif, une attente, dans la visée d’une perfection qui se résout en désir ou en devoir moral, et ne peut s’expliquer que comme une réponse à un manque, à une aspiration d’un sujet pensant et agissant.

2. La valeur en économie

Les économistes ont, quant à eux, engagé des réflexions approfondies afin de définir des critères d’appréciation et de mesure de la valeur d’un bien lors d’un échange, en vue de rendre compte théoriquement des prix.

Conception objective

« Les classiques proposent une analyse objective de la valeur en se fondant sur les coûts de production. » – approche macro-économique

Les auteurs de la conception objective de la valeur soutiennent que la valeur des choses aurait un fondement objectif indépendant de l’observateur. La quantité de travail et la rareté des ressources sont les éléments fondateurs de la valeur (d’échange). La valeur d’usage est une condition nécessaire à la valeur d’échange mais elle ne suffit pas à en constituer le fondement. Les approches par la valeur-travail convergent vers l’idée que les prix de marché sont étroitement liés à la valeur des marchandises, et gravitent ainsi autour d’un prix naturel (prix correspondant au coût de production).

Conception subjective

« Les marginalistes privilégient une approche plus subjective en mettant l’accent sur les goûts et les besoins des individus » – approche micro-économique

Selon l’approche subjective, la valeur d’une chose est variable dans le temps et entre observateurs différents. Elle repose sur sa capacité à satisfaire les besoins des individus (leur utilité, et plus spécifiquement leur utilité marginale). Outre l’utilité, la rareté joue un rôle essentiel en déterminant l’intensité du besoin que pourra satisfaire la marchandise. D’après cette conception, la valeur d’échange dérive de la valeur d’usage, et l’utilité devient un déterminant primordial du prix.

La conciliation : une valeur subjective à CT et objective à LT

Ces deux théories de la valeur (objective et subjective), structurant l’économie politique, seront par la suite liées et synthétisée par Marshall en introduisant une perspective temporelle, dynamique, permettant d’articuler la théorie subjective (à court terme, centrée sur la demande) et la théorie objective (à long terme, centrée sur l’offre).

  • Sur le court terme, l’utilité l’emporte dans le phénomène de fixation des prix, par la recherche de l’équilibre entre l’offre et la demande, lequel s’établit à un prix qui exprime la « valeur-utilité ». Lors de l’introduction d’un produit sur le marché, l’entreprise adapte ses prix en fonction de la demande.
  • Sur le long terme, les coûts de production deviennent déterminants, car l’entreprise est obligée d’en tenir compte, et un prix d’équilibre qui se situe entre ce que le marché est prêt à payer au maximum et le prix auquel l’entreprise doit vendre ses produits au minimum, va correspondre au « prix naturel » tel qu’il a été défini par les économistes classiques en se fondant sur la valeur-travail.

Le rapport aux choses plutôt qu'aux personnes

La théorie de la valeur travail et la théorie de la valeur utilité reposent sur une « hypothèse substantielle » qui tend à « naturaliser » les rapports économiques, autour de l’idée que les biens marchands possèderaient une qualité – une ‘substance’– en propre, une valeur intrinsèque, objective, en dehors de l’échange

En accordant la primauté aux objets, s’est construite une « économie des grandeurs » au détriment d’une « économie des relations »… Ainsi, comme le souligne Orléan (2011), les économistes ont conçu le rapport marchand comme étant essentiellement un rapport aux choses, et non un rapport entre individus (NB: relation potentielle avec l’orientation du profil de personnalité DISC).

(…Les critiques avaient souligné que le concept d’utilité n’était guère opérationnel en entreprise, beaucoup moins que celui de la « valeur-travail », car la satisfaction du consommateur était difficile à mesurer. Mais, selon Alfred Marshall, ce n’est pas parce que les outils d’analyse n’existent pas qu’il faut faire l’impasse sur la « valeur-utilité », car dans la réalité une entreprise ne se lance pas dans la production d’un bien, si elle ne pense pas raisonnablement qu’il ne trouvera pas preneur, soit parce qu’il est trop cher, soit parce qu’il ne correspond pas à un besoin exprimé ou latent.)

Bibliographie

Aurier P., Evrard Y. et N’Goala G. (2004), « Comprendre et mesurer la valeur du point de vue du consommateur », Recherche et Application en Marketing, 19, 3, 1-20.

Comte-Sponville, A. (1998). « Philosophie de la valeur » in Bréchet, J.-P. (coord.). Valeur, marché et organisation, Actes des XIVe journées nationales des I.A.E, tome 1, Nantes, Presses académiques de l’Ouest, 15-26.

Desmarteau R., Saives A-L., Schieb-Bienfait N., et alii (2017), « La création de valeur : glas ou Graal ? Revue et modélisation du concept », Association internationale de Management Stratégique (AIMS), XXVIe Conférence Internationale de Management Stratégique.

Durozoi G. et Roussel A. (1997), Dictionnaire de la philosophie, Paris, Nathan.

Rivière A. et Mencarelli R. (2012), « Vers une clarification théorique de la notion de valeur perçue en marketing », Recherche et Applications en Marketing, vol 27, 3, 97-123.

Wikipedia (2018), Alfred Marshall, « La question de la valeur », retrieved from https://fr.wikipedia.org/wiki/Alfred_Marshall#La_question_de_la_valeur