Développer un véritable esprit critique

« Tout homme, où qu’il aille, est pris dans un nuage de convictions rassurantes qui se déplacent avec lui comme des mouches par un jour d’été. » – Bertrand Russel.

Heuristiques et biais cognitifs

Dans la vie quotidienne nous n’avons pas toujours recours aux raisonnements logiques que nous sommes dans d’autres contextes tout à fait capables de mettre en place. Nous mettons en œuvre de nombreux raisonnements biaisés souvent basés sur des heuristiques.

Note : Taylor (1981) expliquait que les individus privilégiaient la facilité de traitement de l’information en recourant aux stéréotypes lorsqu’il s’agit de juger autrui ou aux heuristiques pour résoudre les problèmes qui se posent à eux.

Qu'est-ce qu'une heuristique ?

Les heuristiques sont des règles de raisonnement qui conduisent à des approximations souvent efficaces, mais faillibles. Soulignons que le recours à ces règles est de nature intuitive et le plus souvent non-intentionnelle et inconsciente. Elles reposent en général sur un traitement partiel des informations disponibles mais leur emploi fréquent au quotidien tient à leur fonction de simplification des problèmes, de réduction de l’incertitude et au fait qu’elles permettent de proposer des réponses socialement acceptables (Drozda-Senkowska, 1997).

Nos jugements, nos évaluations, nos inférences, nos décisions sont organisées par des règles heuristiques.

Qu'est-ce qu'un biais cognitif ?

Le terme biais cognitif renvoie aux distorsions entre la façon dont nous raisonnons et celle que nous devrions adopter pour assurer le mieux possible la validité de nos conclusions.

Différentes explications de l’origine des biais de raisonnement sont données en psychologie :

  • Un courant de recherche longtemps dominant renvoie à l’idée que les hommes disposent de capacités cognitives limitées et ne sont pas capables de raisonner correctement sans apprentissage.
  • En réaction, d’autres chercheurs mettent l’accent sur le fait que les biais constituent des réponses pragmatiques, motivationnelles et adaptées au contexte.
  • Les biais pourraient finalement provenir de la recherche de confirmation dans la pensée de sens commun et traduire la survivance de certaines formes de pensée magique.[1]

En définitive, il semble que les biais cognitifs soient plutôt le reflet d’une nouvelle forme de pensée magique qui coexiste avec la pensée scientifique. Selon le contexte social, l’enjeu ou la motivation, les individus auraient donc tendance à respecter les critères du raisonnement scientifique et à se référer à la norme de véracité ou au contraire à recourir à une forme de pensée magique, intuitive qui répond davantage à des critères d’efficacité.

L’individu peut donc privilégier la recherche d’exactitude ou au contraire être sensible à des motivations pragmatiques et contextuelles. Le rôle des insertions sociales, des rapports sociaux dans lesquels l’individu est impliqué devient alors fondamental pour comprendre le recours aux raisonnements biaisés (Doise, 1993).


[1] Selon Schweder (Schweder, 1977), la pensée magique exprimerait la tendance universelle à chercher des liens symboliques et signifiants entre choses et événements. Cette pensée est orientée vers la réussite de l’action, imperméable à l’information ou à l’expérience et ne peut être invalidée par les faits. Les jugements sont élaborés à partir de principe de similarité.

Comment ne pas croire n'importe quoi ?

Pour Bronner (Bronner, 2015), nous analysons la plupart des informations de manière quasi automatique, car notre cerveau cherche en permanence à minimiser l’investissement mental nécessaire aux diverses tâches cognitives – et donc leur coût énergétique.

C’est souvent insuffisant pour surmonter les biais socioculturels et cognitifs auxquels nous sommes soumis. Notre interprétation intuitive des événements est souvent faussée par les stéréotypes.

Nous sommes confrontés à au moins trois types de limites fondamentales :

⇒ Les biais dimensionnels, liés à notre position particulière dans le temps et dans l’espace (physique et social). Seules certaines informations nous parviennent, variables selon notre situation, notre milieu social, le pays dans lequel nous vivons, etc.

⇒ Les biais culturels. Nos cadres socio-économiques et culturels nous suggèrent des interprétations automatiques, et parfois déformées, des phénomènes auxquels nous sommes confrontés.

⇒ Les biais cognitifs. Les processus de traitement de l’information (les capacités de mémorisation, d’abstraction, etc.) de notre cerveau sont souvent dépassés par la complexité des situations auxquelles nous sommes confrontés. Et le recours plus ou moins conscient à certains modes de raisonnement automatiques peut conduire à des erreurs sévères telles que :

  • la confusion entre corrélation et causalité ;
  • le biais de confirmation qui nous fait accorder plus d’attention et mieux retenir les informations allant dans le sens de notre opinion préexistante ;
  • la surestimation des faibles probabilités ;
  • l’aversion à la perte (sensibilité plus élevée aux coûts qu’aux bénéfices) ;
  • Le traitement sélectif de l’information (Evans, 1983, 1993), l’heuristique de la représentativité, l’heuristique de la disponibilité ou de « l’accessibilité », le biais de confirmation, le biais d’ancrage, le biais rétrospectif, l’oubli de la fréquence de base, les biais de négativité, l’effet de Halo, l’effet blouse blanche, etc.

Il est capital d’apprendre à reconnaître quand notre opinion n’est pas fiable, afin de suspendre notre jugement le temps d’une analyse plus approfondie. Il faut construire un chemin méthodique vers une connaissance solide :

⇒ D’abord, demandez-vous si les données dont vous vous servez pour juger ne sont pas biaisées par votre position dans l’espace physique ou social.

⇒ Ensuite, examinez d’un œil critique le traitement culturel que vous appliquez à ces informations.

⇒ Enfin, méfiez-vous de votre intuition car celle-ci, faussée par un certain nombre d’illusions mentales, n’est pas toujours bonne conseillère.

L’apprentissage limite les coûts énergétique d’une activité mentale. C’est pourquoi, il peut être utile de s’entraîner à reconnaître les situations qui risquent de nous tromper.

Dans les conditions historiques nouvelles pour nos sociétés, la question de l’éducation demeure essentielle. Le véritable esprit critique, celui qui va nous aider à contrarier l’aliénation que représentent parfois les suggestions de notre intuition, ne s’acquiert qu’à force de persévérance et d’exercices… (Bronner 2015)[1]

L'éducation et l'esprit critique pour limiter les dégâts des pièges cognitifs

« Le bon sens est la chose du monde la plus partagée » (Descartes)… au travers d’observations méthodiques de quelques biais cognitifs, ce reportage démontre que l’on peut en dire autant de « la connerie ». Il nous invite à prendre conscience de nos comportements et attitudes, des émotions et cognitions qui nous façonnent.

Résumé

De nombreux scientifiques à travers le monde étudient nos erreurs de jugements, nos stéréotypes les plus stupides, les erreurs que l’on commet le plus volontiers à plusieurs que tout seul… On peut devenir con par paliers, en s’octroyant peu à peu des comportements transgressifs. À force de rester impunies, toutes ces incivilités deviennent des habitudes que l’on impose aux autres sans même y penser.

Sous un titre un rien provocateur, « Dans la tête d’un con » explore la question en profondeur, grâce à une série d’expériences ludiques et aux avis éclairés de spécialistes du comportement humain.

Un signal d'alarme interne pour nos émotions et nos intuitions susceptibles de nous tromper

« Le con c’est celui qui ne change jamais d’avis. »

En conclusion le téléspectateur est invité à l’humilité, à reconnaître que l’on est soi-même inclus dans la connerie universelle. L’éducation et l’esprit critique peuvent nous permettre de limiter les dégâts en développant un signal d’alarme interne qui nous indique les situations dans lesquelles nos émotions nous jouent des tours ou que notre intuition n’est pas bonne et que nous sommes susceptibles de nous tromper… qu’il faut vraiment faire un effort pour se détacher de ce qui nous vient spontanément !

La sagesse et l'autodérision pour prévenir les biais cognitifs

In fine, Marmion propose la sagesse comme instrument pour nous prévenir de la connerie. Il présente la sagesse comme une espèce de scepticisme, de prudence, d’indulgence, de tolérance vis-à-vis des défauts, des opinions des autres et vis-à-vis de soi-même.

L’humour peut venir parachever tout çà… en commençant par l’autodérision. L’humour que l’on porte vis-à-vis de soi-même, çà c’est très précieux !

Quelques sujets connexes

Spinoza - Le libre-arbitre n'est-il qu'une illusion?

Internet, un piège cognitif

Un motif d’inquiétude grandissant est la dérégulation du marché cognitif produite par Internet, où les informations à moitié vérifiées naissent et se propagent à toute vitesse. Le buzz est souvent privilégié sur l’analyse (Bronner, 2015).

La théorie comportementale de la décision

La théorie comportementale de la décision (Behavoral decision theory) s’appuie sur l’économie comportementale, qui remet en cause les prédictions de la théorie économique classique et les hypothèses relatives à la rationalité du consommateur. Ces travaux ont identifié de nombreuses décisions de consommation en apparence paradoxales et irrationnelle. Ils montrent que le comportement du consommateur est complexe et que le contexte de prise de décision a une grande importance.

Selon Kotler, Keller et Manceau (2015), ces décisions sont en réalité prévisibles. Elles s’appuient sur des mécanismes psychologiques comme les heuristiques de décisions, le contexte de décision et la comptabilité mentale.

La publicité

Les différences socioculturelles sont l’expression des écarts de perception entre la culture du marché source et celle du pays cible. La partie la plus visible de ces écarts est traduite par la publicité. Les images et les slogans, les contextes de mise en avant des produits et des services sont la partie la plus perméable aux différences socioculturelles (Croué, 2015).

Des traits de personnalité liés au contexte socioéconomiques

Les traits de personnalité sont (systématiquement) corrélés aux variables socioéconomiques externes comme la prospérité économique.

Etc.

Bronner, G. (2015). Comment ne pas croire n’importe quoi. Cerveau & Psycho n°72, Comment développer son esprit critique, 42-47.

Gardair E. (2007). Heuristiques et biais : quand nos raisonnements ne répondent pas nécessairement aux critères de la pensée scientifique et rationnelle. Revue électronique de Psychologie Sociale, n°1, pp. 35-46. Disponible à l’adresse suivante :
https://psychologiescientifique.org/wp-content/uploads/2018/02/Gardair-2007-Heuristiques-et-biais-quand-nos-raisonnement-ne-r.pdf

Kotler, Keller & Manceau (2015). Marketing Management, 15e éd., Pearson France, 211-214.

Croué, C. (2015). Marketing international : un consommateur local dans un monde global, 7e éd., De Boeck Supérieur, p. 65.