Trois représentations communes des émotions

Dans la littérature, trois modèles théoriques de complexité croissante sont communément utilisés pour représenter les émotions : celui des émotions dites de base, celui qui se propose de mesurer les dimensions émotionnelles, et celui de l’évaluation cognitive (appraisal, en anglais).

En bref,

« Il est classique d’analyser les émotions en se référant à une liste limitée de catégories. Ainsi, les théories des émotions de base postulent l’existence d’un nombre limité d’émotions, qui auraient un statut évolutif particulier et seraient en ce sens « fondamentales ». Au sein de l’approche bi-dimensionnelle, ce ne sont pas les émotions en tant que telles qui forment des catégories d’intérêt, mais des dimensions élémentaires aux émotions, telles que la valence ou l’activation, qui permettraient de les décrire et de les expliquer. Finalement, dans le cadre des théories de l’évaluation cognitive (appraisal), l’évaluation en différents critères réalisée par un organisme d’une situation ou d’un stimulus serait à l’origine du déclenchement et de la différentiation des émotions. Par conséquent, les théories des émotions de base et les théories dimensionnelles sont peu appropriées à la modélisation du déclenchement des processus émotionnels. » (COPPIN et SANDER, 2010 p.16)

1. L'approche catégorielle des émotions

L’approche catégorielle permet de représenter simplement les émotions par des labels. « La plupart des auteurs adoptant cette approche [1] considèrent la colère, la peur, la joie, la tristesse et le dégoût comme émotions basiques, même si des controverses existent à ce sujet, en particulier pour la surprise. » (COPPIN et SANDERS, 2010, P.4).

Selon les auteurs, le nombre de ces émotions peut varier et monter jusqu’à huit ou dix. Les catégorisations comprennent souvent l’addition de la honte, la culpabilité, le mépris et/ou la fierté.

[1] Darwin ; Descartes (1631, article 69) ; Tomkins S. (1962, 1980) ; Ekman P. (p. ex. 1973, 1982, 1992) ; Izard C. (p. ex. 1977) ; Fridlund A. ; Plutchik R. (1980) ; etc.

Des émotions de base à valeur adaptative

Les émotions fondamentales seraient innées, automatiques et universelles, c.-à-d. qu’elles se manifesteraient de façon identique quelle que soit la culture des individus.

« Ces émotions, dites aussi, de base ou primaires sont considérées comme discrètes, c.-à-d. très différentes les unes des autres, du fait notamment qu’elles auraient chacune leurs conditions spécifiques d’émergences et qu’elles représenteraient des patterns hautement différenciés de réponses spécifiques (physiologiques et comportementales) qui seraient génétiquement programmés et directement reliés à la survie de l’espèce (Shaver, Schwarz, Kirson, & O’Connor, 1987). » (Adapté de A. NUGIER, 2009, p. 8)

Des émotions complexes ou sentiments

« Les émotions plus complexes proviendraient d’un mélange des émotions de bases (Ortony & Tuner, 1990) » (COPPIN et SANDER, 2010, P.4)…

« Les émotions de base apparaissent rarement lors des interactions humaines. Lorsqu’elles apparaissent, elles sont souvent mélangées avec d’autres états mentaux plus complexes (Scherer et Ceschi, 1997, Abrilian et al. 2005) » (M. COURGEON, 2010, p.11)…

En somme, « une émotion est un état de courte durée qui se caractérise par une interruption soudaine et momentanée de l’équilibre affectif. Pour des états affectifs plus durables, on parlera de sentiment ». (F. Stauh, et. alli, 2002, pp. 345 et 346)

Différents modèles nous montrent comment ces émotions se combinent :

La roue des émotions (ou modèle « circumplex ») de Robert Plutchik

« Dans son modèle, Plutchik propose 4 émotions fondamentales dites primaires (la peur, la colère, la joie, la tristesse), qui s’associent à des mécanismes cognitifs impliquant mémoire et réflexion pour donner 4 autres émotions fondamentales dites secondaires (la confiance (liée à la joie), le dégoût (lié à la tristesse), l’anticipation (liée à la colère) et la surprise (liée à la peur)) […] Chacune de ces émotions de base peut s’exprimer à divers degrés d’intensité, ce qui se traduit par le grand nombre de mots existants pour les décrire, et se combiner l’une à l’autre pour former des émotions différentes. » (Adapté de Wikipedia, 2022)

Les émotions complexes sont assimilées à des sentiments

« D’autres systèmes de classement des émotions, comme celui de Paul Ekman, ne considèrent que 4 à 6 émotions primaires au lieu de 8, car dans la mesure où les émotions combinées font intervenir des mécanismes de réflexion et de mémoire (par exemple la confiance est liée à un ensemble de souvenirs joyeux) voire de pensée abstraite, il ne s’agit plus d’émotions mais de sentiments par définition. » (Wikipedia, 2022)

Certaines de ces émotions complexes comme l’admiration, la jalousie, la culpabilité, la honte, l’orgueil, l’envie, la fierté ou l’indignation seraient purement sociales et donc plus dépendantes de la culture (lien avec l’article : « Notes clés sur l’influence de la culture »).

Exemple d'échelle de différenciation émotionnelles

Ce type d’échelle permet de différencier et donc d’identifier plus précisément un sentiment

Extrait de la conférence : « Apprivoiser ses émotions », Ilios Kotsou, 2016

2. L'approche dimensionnelle

Les théories dimensionnelles se fondent sur une autre tradition de recherche « selon laquelle l’affect peut être décrit en recourant à des dimensions élémentaires indépendantes, qui seraient des propriétés phénoménologiques basiques de l’expérience affective (Russel & Barett, 1999), dimensions qu’il est possible de combiner. » (G. COPPIN et G. SANDER, 2010, p.9)

Plus précisément, « cette approche situe les émotions dans un espace continu (Russel et Mehrabian, 1977). Ce continuum, généralement à plusieurs dimensions (Scherer, 2010), permet de mettre les émotions en relation entre elles. Une émotion peut par exemple être qualifiée de plus dominante ou de plus positive qu’une autre et il est possible de comparer les distances entre plusieurs émotions » (Adapté de M. COURGEON, 2010, p.16 et p.106)

Le modèle bi-dimensionnel de Russel

Selon le modèle circulaire de Russell (« a circumplex model of affect » en anglais) (1980), « il serait possible de représenter les émotions autour d’un cercle dont deux axes uniquement seraient nécessaires : les dimensions de valence (plaisir/déplaisir) et d’activation (faible/forte), qui représentent l’affect en tant qu’expérience subjective sur un continuum (Feldman-Barrett & Russell, 1999) » (COPPIN et SANDER, 2010, p.10) :

  • La dimension horizontale de plaisir intrinsèque, appelée valence, se définit sur un continuum déplaisir-plaisir. Elle correspond au degré de satisfaction et de bien-être du sujet, c’est-à-dire une qualité hédonique (agréable ou désagréable) ;
  • La dimension verticale d’activation, appelée degré ou niveau d’intensité, d’activation ou d’éveil se définit sur un continuum calme-excitation. Elle fait référence au degré d’éveil du sujet. Plus l’intensité des émotions est faible, plus elles deviendraient difficiles à identifier.

« À l’heure actuelle, cette approche est probablement la plus commune pour mesurer l’expérience subjective émotionnelle [*] (Fontaine, 2009) » (COPPIN et SANDER, 2010, p.9).

[*] L’expérience émotionnelle subjective, appelée feeling en anglais, est classiquement nommée « sentiment » (le sentiment subjectif de l’émotion). Elle fait partie intégrante de la notion d’émotion. L’appellation « sentiment » est spécifique à un ressenti personnel et objectif.

Les modèles tri-dimensionnels

Certains auteurs incluent une troisième dimension afin de représenter les émotions dans un modèle tri-dimensionnel. Par exemple :

  • la dimension de contrôle (voir Osgood, 1962) ou de maîtrise (coping) ;
  • la dimension de dominance (Mehrabian, 1996), qui est conceptuellement très proche de celle de de « contrôle ». Elle se définit sur un continuum non-contrôle-contrôle, et renvoie à la sensation du sujet de pouvoir influencer, contrôler la situation.
  • la direction du mouvement (approche vs fuite ou recul) ;
  • … (?)

L’émotion ressentie serait alors la résultante des deux facteurs précités (le plaisir intrinsèque et la valence) associés à l’une ou l’autre de ces dimensions.

Un modèle tri-dimensionnel : l'espace P.A.D (Russel et Mehrabian, 1977)

« D’après Russel et Mehrabian (1977) les émotions sont localisées à diverses positions à l’intérieur de l’espace P.A.D. [Le Pleasure-Arousal-Dominance, en anglais] […]

L’espace P.A.D présente l’intérêt à la fois d’être simple à visualiser, c’est un cube, et d’offrir une très bonne représentation continue de l’espace des émotions, bien adaptée à l’interaction avec des expressions fines d’émotion et des transactions progressives entre plusieurs émotions.

L’utilisation de trois dimensions permet en outre une plus grande richesse du modèle que les modèles à deux dimensions tels que le modèle Valence/Activation (Cowie et al., 2000), dans lequel la peur et la colère sont très proche dans l’espace » (M. COURGEON, p. 107).

3. La théorie de l'évaluation cognitive

Bibliographie

Courgeon, M. (2011). « Marc : modèles informatiques des émotions et de leurs expressions faciales pour l’interaction Homme-machine affective temps réel ». Intelligence artificielle [cs.AI]. Université Paris Sud – Paris XI, 2011. Français. NNT : 2011PA112255ff. tel-00651467.  URL : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00651467

Coppin, G. et Sander, D. (2010). « Chapitre 1 : Théories et concepts contemporains en psychologie de l’émotion. » E3Lab, Section de psychologie, FPSE, Université de Genève et Centre interfacultaire en sciences affectives Université de Genève. URL :
<https://www.unige.ch/fapse/e3lab/static/pdf/Coppin%20&%20Sander%20(2010).pdf>

CORTEX MAG. De la Fonchais, B. pour Joffily M. (2015). « Le film « Vice-Versa » décrypté par un spécialiste des émotions. » CORTEX MAG, Comprendre les enjeux de la recherche sur le cerveau. LABEX CORTEX, Université de Lyon. Disponible à l’adresse suivante : <https://www.cortex-mag.net/le-film-vice-versa-decrypte-par-un-specialiste-des-emotions/>    

Maison des Sciences de l’Homme Alpes. Kotsou, I. « Apprivoiser ses émotions » [conférence en ligne], cycle de conférences Fil Good – lier la recherche et le bien-être en société, 19 janvier 2016. URL : <http://www.ilioskotsou.com/pages/conference-fil-good-apprivoiser-les-emotions> et sur :
 <https://www.youtube.com/watch?v=wlbo0SLVuFU>

Farnsworth, B. (2019). “Human Behavior: The Complete Pocket Guide.” Imotion > Knowledge Center > Blog. Disponible à l’adresse suivante : <https://imotions.com/blog/human-behavior/>

Gil, S. (2009). « Comment étudier les émotions en laboratoire. » Revue électronique de Psychologie Sociale, 4, 15-24. URL: <https://psychologiescientifique.org/ressources/pedagogie/revue-electronique-de-psychologie-sociale/>

Nugier, A. (2009). « Histoire et grands courants de recherche sur les émotions », Revue électronique de Psychologie Sociale, 4, 8-14. URL :
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Staub, F., Bruggimann, L., Magistretti, P., & Bogousslavsky, J. (2002). « Anatomie des émotions [Anatomy of emotions] ». Schweizer Archiv für Neurologie und Psychiatrie, 153(8), 344–353. URL : <https://web.archive.org/web/20200208181038id_/https://sanp.ch/journalfile/view/article/ezm_sanp/en/sanp.2002.01315/8b90b8aaf06838091f836439979975b1c40f410e/sanp_2002_01315.pdf/rsrc/jf> DOI : <https://doi.org/10.4414/sanp.2002.01315>

Wikipedia (2022). « Robert Plutchik ». Disponible à l’adresse suivante :
<https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Plutchik>